Cette chronique sur la trajectoire du rap camerounais tire à sa fin. Après avoir, dans les précédentes parties de ce dossier, parlé du rap camerounais dans son ensemble : ses origines, l’état actuel ainsi que son potentiel futur, on est bien en droit de se demander qui sont ceux-là qui se sont fait le plus remarquer ces dernières années et qui incarnent le mieux ce style musical au Cameroun.
3ème partie : Top 5 rappeurs camerounais
Meilleurs rappeurs camerounais sur les 5 dernières années
Établir un classement comme celui-ci est une chose assez risquée, tant on est sûr de ne pas pouvoir faire l’unanimité. Mon affinité avec le rap et l’expérience acquise au cours de toutes ces années me permettent néanmoins de me confronter à cet exercice et de pouvoir aujourd’hui porter un regard sur l’état de ce style musical au Cameroun et de dire avec une bonne proportion d’objectivité qui en sont les meilleurs représentants. Les critères choisis pour ce classement sont :
– Les lyrics : la qualité d’écriture et les jeux de mots font partie des premiers atouts d’un bon MC.
– La technique : la façon d’emmener ce qu’on a à dire influence énormément la perception de l’auditoire. Au premier rang des techniques dans le rap se trouve le flow (la façon d’articuler les mots, les phrases et le rythme qui en découle).
– L’originalité
– La musicalité
– La passion et l’implication que les artistes dégagent pour leur art
– La sortie d’au moins un album dans la période prise en compte
Ceci reste tout de même un classement personnel de mon top 5 des meilleurs rappeurs camerounais sur les 5 dernières années (diaspora exclue) :
5. Alberto Les Clés
Son argument : La plume
Une productivité assez faible sur ces 5 dernières années et un manque de suivi artistique coûtent quelques places dans ce classement au membre des groupes « Dupond & Dupont » et « Les Géomètres ». Mais Alberto Les Clés est de ceux-là qui s’appliquent à l’écriture et ça demande forcément du temps. Se faire surnommer « Son Of God »… ça il faut oser ; Les clés donne l’impression d’être d’un autre univers ; un univers où les mots sont comme des pièces de puzzle, chacun a une place bien précise, s’entrelaçant les uns à côté des autres et ne laissant pas d’espace au vide et au hasard. Ses textes se rangent dans le registre de la poésie et tous les amoureux de lettres ne manqueront pas d’apprécier toute l’étendue de sa verve.
Album: O Dela Du Rap (2011)
http://www.youtube.com/watch?v=dCVZzBAKST
4. Ivee
Son argument : Le flow
Ivee maîtrise l’art du freestyle et son aisance micro à la main n’y est certainement pas pour rien. Ivee c’est un « Kicker », c’est l’esprit des block-party américaines des années 80. La météorite comme il se fait surnommer a pour principales armes son Flow et son habilité technique. Une place dans ce classement était donc… inévitable.
Album : L’inévitable (2012)
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=PMiM5qnytN8[/youtube]
3. Krotal
Son argument : La constance
Il est peut-être le plus cité quand on parle de rap au Cameroun. Après 23 ans de carrière, le charisme de celui que les proches continuent d’appeler affectueusement Polo ne souffre d’aucune contestation. Il reste la figure emblématique du rap camerounais.
Avec sa voix imposante et reconnaissable parmi tant d’autres, Il est le grooveur préféré de la scène rap. Il raconte tout simplement la vie, le beau le moins beau. Il sait changer de registre, s’adapter et se redécouvrir tout en restant fidèle à son style marqué de revendications culturelles et accompagné de sonorités d’instruments locaux (percussions, balafons). Krotal est un ancien ; il a vu le rap naître, évoluer, changer et pourtant il est toujours là. Sa constance et son impact durant toutes ces années lui valent bien cette reconnaissance.
Album: La BO de nos life (2012)
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=mk8m8HIqN98[/youtube]
2. Ayriq Akam
Son argument : La vibe et la profondeur
J’ai souvent l’habitude de dire si Détroit avait été au Cameroun, Ayriq Akam serait J.Dilla. La raison est simple – sans vouloir mettre Akam au même niveau que la légende américaine – il possède cette vibe spéciale teintée de soul et de Jazz ; un style ancré dans les racines profondes de la musique noire américaine qui lui réussit très bien. Akam c’est la voix d’une jeunesse africaine pleine de rêves, mais qui bute très souvent face aux réalités de la vie et qui souhaite donner un sens à son existence. Il impressionne par son style très mature. Son premier album solo « Puzzle » sorti en 2010 est une peinture profonde et captivante des ruelles populaires de Yaoundé ; un voyage au cœur des maux, un périple au cœur des mots.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=932nXiUN-dY[/youtube]
1. Jovi
Son argument : L’originalité
Au-delà du talent, Jovi a compris les rouages de l’industrie musicale. La sortie de chacun de ses titres est suivie d’une euphorie débordante chez les fans. Avec une maîtrise dans la communication et une prise en compte de chaque détail de son produit, il ne laisse rien au hasard. Mais son véritable atout réside avant tout dans son originalité : Jovi ne sonne comme personne et personne ne sonne comme Jovi. Le « Don 4 Kwatt » qui est par ailleurs également producteur (sous le nom de « Le Monstre ») et à la tête du label New Bell Music, combine textes incisifs, argot local et état d’esprit des « ter-ter » camerounais, le tout sur des sonorités uniques et propres à lui-même. Son premier album H.I.V sorti en 2012 est tout simplement l’album le plus abouti de ces dernières années.
[youtube]http://youtu.be/M8c3ifLePcQ[/youtube]
Mention spéciale pour Stanley Enow qui n’entre certes pas dans ce classement, mais qu’on aime ou pas, qu’on se dise puriste ou bien qu’on soit juste néophyte, le factuel parle pour lui : il a avec « Hein père » tout simplement le plus grand hit du rap camerounais jusqu’à présent. Ce n’est pas encore assez pour faire partie de ce top 5, mais pour avoir écouté récemment quelques titres pas encore publiés de son album en préparation « Soldier Like Ma Papa », je peux dire qu’il a du potentiel à revendre… et pas toujours dans le style dans lequel on l’attend. Affaire à suivre donc…
Stanley est d’ailleurs nominé aux MTV Africa Music Awards à Durban dans la catégorie « Révélation de l’année…
L’analyse actuelle du milieu Hip-hop au Cameroun et du rap principalement montre de véritables changements : le volume des productions musicales augmente et la scène se fait de plus en plus présente dans les médias et au sein du public. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que l’arrivée de nouvelles structures, de nouveaux labels et médias spécialisés favorisent l’arrêt d’un certain mutisme observé de temps à autres par le passé dans le milieu. Cette musique se trouve également de plus en plus une vraie identité : en gros le rap camerounais sonne plus camerounais.
Aujourd’hui en se passant des maux qui la gangrènent (la guerre d’égo, la course au buzz, l’amateurisme criant chez certains etc..), et en mettant en avant le talent, l’originalité et le professionnalisme (y compris au niveau du business), cette scène pourrait très bien continuer son ascension et prétendre à la cime musicale africaine… Alors les gars, au boulot !
K-Ran
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Qui est K-Ran ?
Ce mélomane est très tôt attiré par la profondeur de l’art musical. Doté d’une grande curiosité, il s’intéresse rapidement à différents styles et genres musicaux, ce qui lui procurera une éducation musicale poussée. Soul, Rap, RnB, Pop ou encore toutes les sonorités africaines, sont quelques unes des teintes qu’on pourrait citer en parlant du tissu musical de ce jeune camerounais. Depuis plusieurs années déjà, K-Ran officie dans les coulisses de l’industrie de l’Entertainment en Allemagne et compte parmi ses nombreuses occupations : show-radio, deejaying, évènementiel et chronique web.
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