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vendredi, avril 19, 2024

Ça chauffe !

Chronique : Train de Brousse par l’aristopathe

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Wanda People, lisez cette chronique pleine d’humour d’un trajet Douala-Yaoundé (Cameroun) via le train Intercity par le blogeur l’aristopathe. Vous vous y croirez…

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10h48. Le train de 10h25 démarre sans ‘tchouf tchouf’ ni excuse. Je ne sais d’ailleurs pas s’il a jamais fait ‘tchouf tchouf’, notre train moderne des forêts. Les trains modernes ne font pas ‘tchouf tchouf’.

Première classe, les passagers qui s’installent sont beaux et sentent bon, ce qui est rare en seconde classe, où les odeurs de manioc fermenté se mêlent au léger parfum acide de la transpiration de ceux qui n’avaient personne pour porter leurs trop nombreux bagages.

Revenons un instant en première classe, au pays des beaux-qui-sentent-bon.
Chacun y joue à  se donner de l’importance. Les uns avec des ordinateurs portables immenses à l’autonomie dérisoire, qui ne leur offriront qu’une demi heure de gloire , ce qui suffit pour impressionner les jeunes étudiantes qui prennent la première classe pour la première fois. Elles sont rares, ces étudiantes-là…
D’autres parlent entre eux, avec une discrétion de fanfare, de millions qu’ils ont perdu la semaine d’avant et de la spiritualité qui leur permet de relativiser aussi vite. « Ce n’est que partie remise », disent-ils avec suffisance.
Quelques autres, plus discrets, sortent leurs plus grosses lunettes noires Tom Ford pour dissimuler les traces de la nuit blanche qu’ils viennent de passer, traces qu’aucun fond de teint n’a pu effacer, abandonnant à Morphée la responsabilité de veilleur sur leur dignité. Dignité qu’ils perdent à chaque filet de bave qu’ils ne retiennent, à chaque ronflement trop bruyant. Oui, même les jolies filles en lunettes Tom Ford ronflent, nous ne sommes plus seuls au royaume de à honte!
Et puis il y a les mamies-chic, ces grands-mères sexagénaires hyperactives à la toilette toujours soignée, qui se sentent souvent obligées de commenter bruyamment, mais avec la langue châtiée, les temps dits modernes, de critiquer l’état des routes, la propreté des gens, les cheveux trop longs des jeunes hommes et les robes bien trop courtes des jeunes femmes. Non, je ne me sens pas visé, non non.

Les autres mamies du train, personnages archétypiques des marques Bonne Maman, Mamie Nova, Biscuits Cabin et d’autres moins célèbres  qu’on ne trouve de toute façon plus en rayon, voyagent toujours avec leur petit enfant, l’unique petit-enfant ou le préféré de la portée. Monstre infatigable aux premières heures de la journée, le petit enfant du train est aussi appelé le « ver du voyageur » : s’il ne fait pas mal au ventre, il fait mal à tout le reste! Soliste méconnu de mélodies que nul ne reconnaît, il chante, crie et danse en même temps au rythme infra-sonique des mouvements du train. Il rit, vous tape, sourit, vous tape encore, devant les yeux ébahis de sa mamies, heureuse de voir que son rejeton sait se faire des amis. Aaaaaah… Qu’elle est belle, la cécité de l’amour maternel !

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Intercity

 

On est toujours en première classe où, pendant que le petit monstre me remonte la chemise pour regarder sans discrétion un ventre que je perds (oui, je le perds… Un peu), la compagnie de train, celle-là même qui dans son message d’accueil interdit en Français et en Anglais le bruit, les animations, sonneries de téléphone et musiques digitales, vient de lancer la diffusion d’un concert de bikutsi sur tous les écrans du wagon, concert qu’on entend plus qu’on ne le voit, tellement les écrans sont petits. Mamie, ma voisine, chante et tape du pied pendant que petit monstre cherche le sommeil dans ses bras, me triturant un morceau de chemise pour mieux le trouver probablement.

Il est beau le train de brousse, à l’heure où les sonorités bantoues tirent de leur sommeil les filles devenues brunes aux grosses lunettes de marque, donnent aux pseudo-entrepreneurs infatigables le prétexte pour fermer leurs ordinateurs portables déjà à cours de batterie, et me donnent le signal pour sortir mon casque ultra blanc Beats By Dre, ranger mon iPad mini et écouter le dernier album de U2 offert à l’achat de mon iPhone6 Plus pour m’endormir et jouer a mon tour le prétentieux, avant qu’un filet de bave ou un ronflement trop bruyant ne me rappelle à ma condition de passager anonyme du train de brousse, noyé dans la foule des autres villageois civilisés.

Il est 12h22, le train vient en de s’arrêter au milieu de la forêt équatoriale, une panne du circuit hydraulique.

Il est 12h34, petit monstre ne dort toujours pas, et mamie non plus. Zut !

via L’Aristopathe

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